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Conception de l’identité

 

 

 

Le concept d’identité est central en orientation. Les théories du développement vocationnel suggèrent que s’orienter c’est transposer ce que l’on est en termes professionnels.  Elles suggèrent aussi que les problèmes d’orientation sont causés par des difficultés à former une identité ou un concept de soi clair et cohérent.  Pour Super (Super et coll. 1963), le développement de carrière est essentiellement un processus de développement et d’actualisation du concept de soi clair et bien organisé.  Pour Holland (1985), le choix vocationnel est l’expression de la personnalité, des motivations, des connaissances et des aptitudes d’une personne.  Pour Pelletier et Bujold (1984), c’est l’identité de la personne et sa cohérence qui fondent et organisent les informations qui serviront à l’élaboration du projet professionnel.

 

Le concept d’identité, que certains appellent parfois le soi (self) ou le moi (ego), que d’autres appellent personnalité, caractère ou concept de soi, n’est pas facile à définir.  Même si le concept recouvre plusieurs notions, l’identité peut se définir par « le caractère de ce qui demeure identique à soi-même, le sentiment que ressent la personne d’être la même, la conscience de son individualité ». C’est le sens, la signification et la certitude de ce qu’elle est, le sentiment de se sentir unifiée et non compartimentée.  L’identité est aussi constituée de nombreux éléments liés à un processus intégratif qui fait que la personne est unique et différente d’une autre.

 

Ces conceptions classiques sous-tendent que l’identité d’une personne se développe, se forme, se construit naturellement et que tous acquièrent une identité.  Elles sous-tendent également qu’il suffit d’aider l’individu à clarifier son identité pour qu’il en ait une bien construite.  L’identité est vue comme un contenu qu’il s’agit de connaître et de clarifier. 

 

Plusieurs auteurs, théoriciens et chercheurs nuancent toutefois à la lumière de l’expérience clinique qui montre que bon nombre de personnes consultant pour des difficultés d’orientation ne sont pas aidées par les techniques et les interventions de clarification de l’identité.  Certains mentionnent qu’une aide à caractère thérapeutique peut s’avérer nécessaire, d’autres semblent indiquer la présence d’une problématique identitaire.  Il est alors question, non pas de l’identité en tant que contenu à connaître et à clarifier, mais de l’identité en tant que base, structure, organisation, fondement qui doit se construire et dont la construction ne peut être tenue pour acquise.  

 

Il semble s’agir de deux aspects d’une même chose, tout aussi importants l’un que l’autre, deux aspects de l’identité, à savoir que l’identité doit se construire et son contenu doit être clarifié. Toutefois, comme Condamin (1996) le signale : « le développement de l’individu se construit comme une seule et même maison, avec ses bases, ses murs et son toit, et il est inutile d’essayer de faire un toit lorsqu’il n’y a ni murs solides ni bases établies. »  Ces bases solides, cette structure de personnalité solide, c’est justement de cela dont il est question dans la construction de l’identité.  Et la clarification de l’identité correspond uniquement à un aspect secondaire qui amène à la conscience quelques éléments de l’identité, quelques caractéristiques personnelles, la plus grande partie demeurant plutôt non consciente, mais « agissante » en ce sens qu’elle guide les choix des individus en leur fournissant une direction et un sens.

 

En principe, une personne ayant une identité claire et bien construite devrait être en mesure de prendre des décisions sur le plan de son orientation scolaire et professionnelle. Sur le plan clinique, on constate toutefois que des personnes y parviennent et d’autres non.  En ce qui a trait à l’indécision vocationnelle, plusieurs auteurs[1] suggèrent de distinguer entre être « non décidé » (being undecided) et être « indécis » (being indecisive). L’incertitude de ceux qui n’ont pas décidé (undecided) serait due à un manque d’information à leur propre sujet, à un manque d’information au sujet du monde du travail ou à un manque d’habiletés nécessaires pour décider.  Les personnes indécises, pour leur part, ont des croyances, des attitudes et des comportements non fonctionnels. Elles sont anxieuses, ont un centre de contrôle externe, ainsi qu’une identité diffuse. Hartman et al (1985) mentionnent qu’il est normal qu’une personne possédant une identité peu formée soit contrôlée extérieurement.  Pour Galinski et Fast (1966), ce qui crée l’anxiété chez la personne, c’est l’absence de certitude intérieure face à qui elle est. Ils précisent que ces personnes ne peuvent pas utiliser les stratégies traditionnelles de prise de décision, elles doivent d’abord être aidées afin de développer leur identité. Les expressions trouver qui je suis, me trouver, ne sont pas seulement des clichés, mais bien des expressions réelles décrivant précisément l’état de la personne à la recherche de son identité, de sa structure intérieure.

 

L’identité, bien qu’elle en constitue la base, n’est pas utile uniquement en orientation scolaire et professionnelle.  L’indécision peut se manifester dans toutes les zones de la vie d’une personne, que ce soit dans le choix d’un conjoint, la décision d’avoir un enfant ou non, ou dans l’achat d’un véhicule automobile ou de tout autre bien de consommation. L’identité, en tant que structure qui sous-tend la personnalité de l’individu, lui permet de transposer son identité dans toutes les sphères de sa vie, d’avoir une idée de sa direction, du sens de sa direction, de définir ses projets, d’arrêter des décisions et de s’y engager.

 

On n’apprend pas qui on est, on le devient et ça se construit au fur et à mesure de nos expériences de vie, ou ça ne se construit pas, ou partiellement, ou ça cause des déséquilibres, selon nos expériences de vie. Ce qui est clair, c’est que c’est la structure de l’identité qui imprime une direction qui ne se manifeste pas nécessairement au niveau de la conscience, la personne « sait ce qu’elle doit faire », sans vraiment savoir pourquoi.  Ses choix ne s’expliquent pas rationnellement, mais provoquent une certitude intérieure, elle « reconnaît » la voie à suivre pour elle. 

 

La vision de l'identité présentée ici est quelque peu différente de ce à quoi la psychologie nous a habitués en cette matière. En effet, qu'il s'agisse de la théorie psychosociale d'Erik H. Erikson, des concepts de Soi de William James (1890, 1946), pour ne citer que les plus connus, il s'agit toujours de représentations conscientes de soi qui se constituent au contact de la réalité. Et c'est cette réalité qui lui donne forme. L'idée que l'on se fait de soi-même. Ce n'est jamais aussi évident qu'en orientation où on cherche très souvent à faire vivre aux personnes des expériences qui vont leur permettre de découvrir qui elles sont. Avec une telle approche, on ne peut qu'inférer que la croyance des professionnels du domaine repose essentiellement sur le fait que la personne a nécessairement une identité et que si la personne ne la met pas en action à un moment donné de son parcours scolaire ou de l'évolution de sa carrière, c'est qu'elle n'a pas mis tous les efforts nécessaires pour en saisir la nature.

 

Si, effectivement, il est vrai que les individus se font une idée quant à la réalité matérielle qui est la leur (le Soi matériel), quant à leur place dans le milieu social où elles évoluent (le Soi social), quant encore à leur statut moral, intellectuel, etc. (le Soi spirituel), il est aussi vrai que pour plusieurs, ils ne pourront que constater, par exemple, la condition miséreuse dans laquelle ils évoluent, le peu d'espace que le milieu social dans lequel ils évoluent leur accorde, voire le manque de ressources intellectuelles, de motivation… pour affronter les exigences de la vie qui est la leur.

 

Quant à nous, ce n'est pas à ce plan identitaire conscient que se situe la problématique de l'orientation. C'est plutôt à celui du pur Ego, comme l'appelait James. Or, cet Ego se forme dans l'hémisphère droit du cerveau qui n'est habituellement pas le support du langage, la condition même d'existence de la conscience.

 

Ainsi, la théorie psychogénétique soutient que les mécanismes qui donnent lieu aux comportements d'orientation ne sont pas principalement conscients et président à nombre de comportements plus ou moins adaptés dont il est question dans la théorie.



[1] Crites (1974), Fuqua et al. (1988), Hartman et al. (1985), Holland et Holland (1977), McAuliffe (1991), Salomone (1982), Van Matre et Cooper (1984).